Dans le cadre des enquêtes de terrain que certains de mes collègues et moi-même avons menées en Afrique de l’Ouest au fil des décennies, nous avons eu l’occasion de rencontrer des exemples d’agents admirables. Dans des administrations et des services publics souvent délabrés, dans lesquels les agents sont parfois découragés, ou bien peu soucieux d’améliorer la qualité du travail fourni, on rencontre aussi des professionnels de terrain exemplaires, des agents publics qui se dévouent et qui essayent de changer les choses concrètement.
Ce qui nous a particulièrement frappé, c’est que ces professionnels s’escrimaient à essayer d’introduire des changements pratiques au sein de leurs administrations alors même que leurs hiérarchies respectives les aidaient souvent peu, voire leur mettaient parfois des bâtons dans les roues. Ces acteurs ont tout de suite attiré notre attention car ils développaient une vision réformatrice féconde bien que non appuyée par l’Etat.
Sur la base de cette analyse, nous avons souhaité lancer une expérience de recherche-action qui est actuellement en cours au Niger dans le domaine de la santé. Après avoir identifié un certain nombre de ces « réformateurs de l’intérieur » ou « experts contextuels » dans le champ de la Santé, nous essayons à présent de les mettre en réseau et de les appuyer car ils sont en général isolés dans leurs services respectifs. C’est dans ce sens qu’il faut, je pense, pouvoir aller.
Il y a bien sûr aussi des réformateurs admirables situés au plus haut niveau, politique ou administratif dans tous les Etats concernés. Mais du fait des jeux politiques et administratifs internes, et des contraintes temporelles qu’ils impliquent, il est rare que ces réformateurs « du haut » aient le temps de mettre en œuvre leur volonté réformatrice. Souvent, après une élection ou un remaniement ministériel, les acteurs en question disparaissent du champ politique et la réforme avec eux.
S’intéresser aux réformateurs de l’intérieur implique de changer notre regard sur les réformes par rapport à la vision qui prévaut actuellement au sein du champ du développement. Il faut penser une réforme dans le temps long ; il est clair qu’une réforme sérieuse de la fonction publique prend des dizaines d’années pour produire réellement ses effets. On ne peut donc pas raisonner sur un temps court.